Rencontres professionnelles
du 24 novembre
Ces rencontres ont permis d’échanger sur la place des œuvres de verre dans les lieux et marchés de l’art contemporain ainsi que sur la relation artiste/artisan, les résidences et le mécénat d’entreprise.
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Étaient présents : les exposants de la Biennale, Jean-François Lemaire, Commissaire de la Biennale, plasticien et galeriste, Maëla Bescond, Direcrice du Centre d’Art Contemporain Passages de Troyes, Anne Pluymaekers, Responsable du Pôle Culture au Cerfav de Vannes-le-Châtel,
Catherine Thomas, Conservatrice du Musée du Verre de Charleroi, Anne Vanlatum, Directrice artistique du MusVerre de Sars-Poteries, Serge Lechaczynski, directeur de la Galerie Internationale du Verre de Biot, Baudoin Lebon, directeur de la galerie Baudoin Lebon à Paris, Cyril Gouty, vitrailliste et Administrateur des Ateliers d’Art de France, Didier Duchêne, chef d’entreprise, Compagnon Métallier, mécène et collectionneur, Catherine Divet, organisatrice, ainsi que des collectionneurs et amateurs d’art.
En guise d’introduction, Jean-François Lemaire a rappelé les objectifs de la Biennale ainsi que sa conception de l’art contemporain, notamment dans ses dimensions de de rupture et d’apport à l’histoire de l’art. Après un bref historique de la place du verre dans l’art moderne puis contemporain, il a rapidement présenté la problématique de la réception des œuvres de verre, en France, dans les lieux d’art contemporain et à sa suite les participants ont développé leur expérience personnelle de la question.
Les discussions ont dessiné la situation actuelle des créateurs verriers, comme isolés sur des lieux de vente et un marché qui semblent s’être progressivement créés autour d’eux. ​La question des types de production des artistes verriers est également abordée : combien, parmi eux, sont engagés dans une recherche artistique contemporaine, alors que la majorité semble s’orienter vers la fabrication de très beaux objets décoratifs ?
Il en ressort que si des œuvres de verre sont
régulièrement présentées dans les Centres d’art contemporain ou dans des galeries d’art contemporain, l’approche de ce type de diffuseurs semble être différente selon le degré de spécialisation technique des artistes : plasticiens utilisant différents supports, dont le verre, ou au contraire artistes fabricants verriers. Ces derniers accèdent plus difficilement à des lieux de « marché » de l’art contemporain et exposent plus facilement dans des univers « métiers d’art » ou bien dans l’entre-soi des manifestions, galeries ou musées dédiés au verre, ou encore dans les musées d’arts décoratifs ou d’art moderne (1850 à 1950), ouvrant volontiers leurs portes à la création contemporaine.
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Dans cet esprit, Catherine Thomas explique sa démarche, notamment le fait d’exposer des artistes utilisant le mixed media ou de déplacer la Biennale du verre du Musée du Verre au Musée des Beaux-arts de Charleroi,
afin de bien marquet la prédominance de la démarche artistique dans sa sélection d’œuvres. Elle précise cependant qu’il ne s’est pas trouvé de plasticien « non-verrier » parmi les 70 candidatures reçues pour cette Biennale. Elle ajoute qu’une différence de pratique fait que les plasticiens demandent souvent à être payés (droits de monstration, achat d’œuvres ou autres) et que les créateurs verriers sont plus accoutumés à la vente directe sur des salons payants ou à la vente en galerie de verre ou de métiers d’art, prenant en charge leurs propres frais. A travers ce simple constat, on peut commencer à évaluer les habitudes des uns et des autres. La conservatrice du Musée du verre de Charleroi ajoute que le problème vient sans doute à la fois des verriers et d’une sorte de « plafond de verre », empêchant ceux-ci d’accéder aux places de l’art contemporain.
Un exposant confirme en effet que les artistes contemporains ne postulent pas ou peu aux évènements de verre. Il évoque notamment un esprit corporatif. Catherine Thomas rebondit sur cette remarque et précise que selon elle, les artistes verriers ont tendance à parler et penser « verre ». Cela peut se comprendre au regard de l’importance que prennent dans leur pratique la mise en œuvre et la recherche technique, ainsi que l’habitude d’échanger sur des questions de procédés. Cependant, cette particularité n’implique absolument pas l’absence ou la présence de démarche artistique contemporaine.
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Dans la salle et parmi les invités, les participants réagissent à ces considérations et on sent une disparité d’approche et de vécu entre les plasticiens « tous supports » et les artistes verriers. Sont évoquées par exemple, les installations, très présentes, avec les œuvres picturales, dans l’art contemporain. En comparaison, les œuvres des verriers, plus « classiquement » sculpturales présentent également des aspects techniques
parfois complexes et sophistiqués qui peuvent, là aussi, créer des malentendus, et notamment leur classement dans la seule catégorie des métiers d’art. Selon Serge Lechaczynski, le marché de l’art contemporain n’est pas très ouvert à la sculpture, ce qui pourrait constituer une des raisons de la rareté des créations de verre dans les galeries et salons d’art contemporain. Baudoin Lebon, pour apporter une note optimiste, relate les débuts de sa galerie, qui présentait alors des photos, de façon innovante pour l’époque et qui, avec le temps, est parvenue à s’imposer. Il suppose que la présence du verre dans l’art contemporain en France pourra suivre le même chemin.
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Une exposante suisse précise que pour elle, il y a le concept et le medium et que le verre est un medium, ce qui ne pose pas de problème. Une exposante espagnole ajoute qu’en Espagne, on ne fait pas autant de différences entre le travail artistique et le travail des métiers d’art.
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Maëla Bescond questionne la différence de formation entre les artistes verriers et les
plasticiens « non-verriers ». Elle évoque aussi un retour progressif du « faire », du travail de la main, dans les écoles d’art, par exemple la formation au travail céramique ou aux teintures végétales.
Elle rappelle également la question des coûts: le travail du verre coûte cher. Sur la dimension économique de la création artistique, elle précise que seulement 1% des plasticiens formés dans les écoles supérieures d’art et de design en font leur unique activité et vivent de leur travail. Le verre reste un matériau nécessitant dès le départ un atelier et des équipements coûteux sans parler de sa consommation en énergie. Cela rend ce support difficile pour des artistes contemporains effectuant des résidences en Centre d’Art, répondant à des appels à projet ou obtenant des bourses de recherche et qui vendent très peu leurs créations. Il semble que là aussi, des disparités se font jour entre les artistes verriers et leur système de vente proche des métiers d’art et, d’un autre côté, les plasticiens « tous supports ». On peut imaginer retrouver ces différences, qui ne sont pas du tout des oppositions, dans l’accueil réservé par les diffuseurs de l’art contemporain.
Cependant, Maëla Bescond précise que la question n’est pas de savoir ou non si une œuvre est de l’art contemporain, mais si une telle œuvre a sa place dans telle ou telle institution. Elle rappelle aussi des usages sociaux, comme la tendance à rester sur son propre terrain, dans son champ, ce qui est peut-être un caractère du milieu de l’art.
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Les anciennes étudiantes de la Haute École des Arts du Rhin, exposantes de la Biennale, précisent la place occupée par l’atelier verre de l’école et la possibilité d’effectuer des stages dans des ateliers de soufflage, afin d’obtenir une meilleure connaissance du matériau, une certaine autonomie technique mais pas de véritable formation artisanale.
Il est également rappelé que certains artistes diplômés des Écoles Nationales d’Art et de Design ont commencé leur cursus par des formations métiers d’art et que parmi les étudiants du CERFAV, on trouve des diplômés de l’enseignement supérieur d’art et de design.
Là aussi, les filières de formation ne sont pas hermétiquement séparées, ni même opposées. Anne Pluymaekers fait remarquer la proportion d’environ 30% des diplômés du CERFAV vivant exclusivement des ventes de leur travail de verre, la plupart développant une dimension artistique dans leur création, même si certains concours de métiers d’art s’avèrent encore assez peu réceptifs à la démarche contemporaine.
Ces remarques mènent à la question des ponts entre des approches « croisées » de la pratique artistique actuelle. Cette question est évoquée par Serge Lechaczynski, lorsqu’il précise que la plupart des artistes de sa galerie pratiquent des techniques mixtes. L’idée d’ouverture a été l’occasion d’un échange entre Jean-François Lemaire et Cyril Gouty, portant sur la position des Ateliers d’Art de France et la place de l’art contemporain dans le monde des métiers d’art, actuellement en débat.
Un artiste contemporain peut en effet mener une démarche artistique très aboutie tout en utilisant des techniques artisanales sophistiquées pour s’exprimer.
Bien que, selon Anne Vanlatum, l’opposition entre ceux qui fabriquent et ceux qui font fabriquer soit inutile au regard de la création d’œuvres d’art, selon d’autres participants, la méconnaissance du matériau, de ses mises en œuvre et de ses coûts ne facilite pas la collaboration entre les artistes verriers et les plasticiens « non-verriers ». Cette collaboration existe cependant au sein d’organismes comme le Musverre ou le Cerfav, qui accueillent des artistes en résidence et mettent à leur disposition des matériels et des techniciens accomplis. C’est bien entendu le cas du CIRVA à Marseille ou, par exemple, de façon plus spécialisée en soufflage, de la Manufacture de Meisenthal en Moselle où des participantes à la Biennale ont pu vivre de fructueuses expériences.
A la question d’une exposante lui demandant s’il faisait une différence entre des artistes qui fabriquent et d’autres qui font fabriquer, Baudoin Lebon répond que non et précise que beaucoup d’artistes font appel aux artisans pour la réalisation de tout ou partie de leurs œuvres. Il ajoute à cela le fait d’avoir incité trois des artistes de sa galerie à travailler le verre, notamment une peintre et une artiste visuelle dont le support de prédilection est la lumière. Ces créatrices ont suivi des formations au Cerfav. Dans le cas de Nathalie Junod Ponsard, exposante de la Biennale, si les techniciens ont soufflé ses pièces, elle a réalisé elle-même leur émaillage.
Anne Vanlatum et Anne Pluymaekers ont, en fin de journée, présenté en détail leurs structures et les spécificités des résidences d’artistes que le MusVerre pratique depuis des années et que le CERFAV a mis en place plus récemment. Cette intervention évoque aussi les relations au quotidien des plasticiens avec les techniciens qui les accompagnent.
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Didier Duchêne, entrepreneur métallier, Meilleur Ouvrier de France et Compagnon du Devoir est intervenu, de son côté, pour parler de son approche du mécénat d’entreprise, de l’achat d’œuvres d’art et notamment d’œuvres de verre.
Il décrit l’enrichissement de la pratique de ses salariés prenant connaissance de cette façon particulière de travailler un ou plusieurs matériaux. Il leur apporte des éléments de sens, tout en les incitant à emprunter les œuvres d’art et à les garder quelques temps chez eux, pour expérimenter leur fréquentation au quotidien.